J'ai vu souvent passer sur les réseaux sociaux une alerte concernant les chiens atteints d'une mutation du gène MDR1. Pour ces chiens, il ne serait pas recommandé d’acheter des croquettes au saumon, ou d'utiliser de l'huile de saumon. Pourquoi ? À cause de la présence d'ivermectine, un vermifuge couramment utilisé dans les fermes aquacoles.
Lorsque je rencontre une mise en garde non argumentée comme celle-ci, j'en discute toujours avec ma team nutrition pour en débattre. Et comme souvent, la réalité est bien différente des "on-dit" d'internet !
La mutation du gène MDR1 chez le chien
Le gène MDR1 chez le chien (Multi Drug Resistance) maintenant appelé (ABCB1) est responsable dans l’organisme de la synthèse d’une protéine, appelée glycoprotéine P. La glycoprotéine P assure le transport de nombreuses molécules parmi lesquelles on trouve de multiples médicaments : les antiparasitaires de la famille des avermectines, les agents anti-tumoraux, certains médicaments pour le cœur, etc...
Lorsque le gêne MDR1 est muté, la protéine correspondante (MDR1-PGP), dont la fonction est d’expulser les molécules toxiques hors du système nerveux central, reste inactive. Elle ne peut donc pas remplir sa fonction de neuroprotecteur. S'en conduit une neurotoxicité chez les chiens vis à vis de certaines molécules, même administrées à dose normale.
Parmi les races considérées comme présentant une prédisposition, on trouve le : Berger allemand, Berger blanc suisse, Berger australien, Bobtail, Border collie, Colley, Shetland, Silken windhound, Wäller, Whippet à poils long. Tous les chiens de bergers ne portent pas forcément la mutation du gène MDR1. On sait cependant que les Colleys, poil long ou court, sont particulièrement concernés. Environ 80% d’entre eux sont touchés par cette mutation et environ 40% des Colleys présentent un risque fort.
Un test génétique permet de dépister les chiens porteurs de la mutation. Un chien hétérozygote ne porte qu’un allèle muté. Il transmettra la mutation à 50 % de sa descendance et il présente un risque modéré d’intoxication médicamenteuse. Un chien homozygote est porteur de deux allèles mutés. Il transmettra la mutation à tous ses descendants et il présente un fort risque d’intoxication médicamenteuse.
Les individus homozygotes pour l’allèle mutant sont très exposés. Les conséquences pour les individus hétérozygotes sont encore mal connues. L’utilisation des molécules impliquées devra donc être très prudente. Il n’existe pas de traitement spécifique en cas d'intoxication.
L'ivermectine
Avec un spectre d'action étendu et une grande facilité d'emploi, l'ivermectine est utilisée comme vermifuge chez les bovins, ovins, porcins, équins, canins, et, plus surprenant, chez les saumons d'élevage. Pourtant, seul ce dernier est pris en considération dans les nombreux articles alarmistes au sujet des croquettes au saumon.
Effectivement, l'ivermectine est strictement interdite pour un chien porteur d'une mutation du gène MDR1. Mais alors, pourquoi seul le saumon d'élevage semble poser soucis ? En faisant quelques recherches, je me suis rendu compte qu'en 1997, la Commission européenne posait la question de l'utilisation (non autorisée) de l'ivermectine pour l'élevage de saumons. La question des résidus dans l'environnement immédiat de ces élevages était également sur la table.
Depuis, certaines personnes font un lien entre les saumons d'élevage, l'ivermectine et les croquettes en affirmant que l'on doit jamais donner de croquettes (ou d'huile) au saumon aux races prédisposées. Pire, certains fabricants de croquettes n'utilisant pas de saumon, vont utiliser l'argument MDR1 pour tenter de vous vendre leurs produits !
Et pourtant... même si le saumon peut être contaminé par l'ivermectine, c'est aussi le cas des autres espèces mammifères productrices d'aliments. Le règlement UE n°418/2014 indique le taux maximum de résidus d'ivermectine admissible par kg de muscle, graisse, fois et reins. Ainsi, on peut retrouver 30 µg/kg de résidus d'ivermectine dans de la viande issus d'animaux ayant été vermifugé.
De surcroît, les fermes aquacoles utilisent plusieurs antiparasitaires à tour de rôle. Ceci afin d’éviter que les poissons ne développent une immunité à une seule molécule. Cela permet également de préserver (au mieux) l'environement immédiat d'une pollution stagnante à l'ivermectine.
Saumon, ou pas alors ?
Un chien porteur d'une mutation sur le gène MDR1 prend plus de risques à manger du crottin de cheval que des croquettes aux saumons. Pour vous donner une idée, le crottin de cheval est contaminé pendant 10 jours suite à une vermifugation. Et un chien qui mange 100 g de crottin de cheval va également avaler pas loin de 300 µg d'ivermectine.
Par ailleurs, l'ivermectine est une molécule qui ne se dégrade pas facilement dans l'environnement. Etant photosensible, la vitesse de dégradation du produit dépend de la saison. Sa demi-vie est de 90 à 240 jours en hiver contre seulement 7 à 14 jours en été. Ce qui signifie que l'ivermectine rejetée dans les pâturages en automne va persister jusqu'au printemps et au retour des animaux. Quid du risque de léchage de pattes sur un chien MDR1 ? Là encore, dans certains cas, le risque sera plus grand que de manger des croquettes aux saumons.
Comme évoqué un peu plus haut, il n'y a pas que les saumons qui sont traités à l'ivermectine, mais également les bovins, ovins et porcins. Or, je n'ai vu aucun article qui propose d'éviter les croquettes au bœuf, à l'agneau ou au porc pour cause de MDR1.
Je ne vois décidément aucune raison valable de bouder le saumon, quelle que soit sa forme. Et puis, si les croquettes au saumon contenaient vraiment autant d'ivermectine que ça, on aurait même plus besoin de vermifuger nos animaux.
Libre à chacun d'user du principe de précaution, mais il n'y a aucun élément factuel en ce sens.