Parlons d'une idée très largement répandue sur les réseaux sociaux. Idée qui souligne que le chien et le chat étant des carnivores, ils peuvent se nourrir uniquement et exclusivement (j’insiste sur ces mots) de viande... crue bien évidemment !
Profitons de l’occasion pour rappeler cet autre article qui explique ce qu’est un carnivore domestique.
Définition du 100% viande
Figurez-vous que de plus en plus de personnes pensent réellement qu'il suffit de donner de la viande pour nourrir un chien ou un chat. Un bel exemple de sophisme prônant le naturel à l'extrême en ne prenant pas en considération l'ensemble besoins nutritionnels d'un animal.
En aucun cas, ce menu 100% viande ne représente de près ou de loin un menu de type BARF ou Ration Ménagère.
Par définition, la viande correspond à du muscle squelettique strié formé par des cellules ou des fibres allongées et polynuclées qui placent leurs noyaux dans la périphérie. Les muscles squelettiques sont attachés au squelette via des tendons ou des fascias. Ils sont divisés en muscles blancs et en muscles rouges.
Chez les animaux destinés à la consommation, les muscles rouges sont appelés viandes rouges et les muscles blancs sont dits viandes blanches (rongeurs, volaille...).
Pour résumer, viande = muscle strié squelettique.
Méthodologie
J'ai calculé les apports en vitamines et minéraux d’un menu 100% viande pour un chien et un chat.
J'ai également utilisé 4 type de viandes différentes représentatives de ce que l'on donne habituellement à nos animaux. Le tout est exprimé en % AJR (apport journalier recommandé) en se basant sur les besoins nutritionnels de la FACCO 2019.
Apports en vitamines et minéraux
Au niveau des vitamines, il y a un déficit en vitamine A, E et D (sauf avec le bœuf). En ce qui concerne les vitamines du groupe B, les besoins sont plus que largement (même trop) couverts à l’exception de la vitamine B9.
Pour les minéraux, sans surprise le besoin en calcium n’est absolument pas couvert avec seulement 5 à 10% d’apport par la viande. Le niveau de chlorure est soit absent, soit bien trop élevé, le cuivre est dans la plupart des cas en déficit ainsi que le manganèse. Le zinc est également trop bas dans la plupart des cas.
Chien - Vitamines % AJR
Chien - Minéraux % AJR
Chat - Vitamines % AJR
Chat - Minéraux % AJR
Le rapport phosphocalcique
Le calcium et le phosphore sont les deux minéraux requis en plus grande quantité par l'organisme du chien et du chat. En plus des niveaux à considérer, il est essentiel que le rapport entre les deux minéraux (Ca/P) soit respecté et ne jamais être inférieur à 1.
Dans le cas présent il oscille entre 0,01 et 0,08 ce qui est très grave pour la santé de nos carnivores domestiques.
Le rôle du calcium dans la rigidité des os et des dents est très bien connu. De plus, ce minéral participe activement à la coagulation sanguine, à la transmission de l'influx nerveux, aux activités sécrétoires et membranaires. C'est un minéral crucial !
D'autre part, le phosphore concourt à plus de fonctions métaboliques que tout autre minéral : formation osseuse, métabolisme énergétique, intégrité des membranes, métabolisme des acides nucléiques, agent tampon, etc…
Les conséquences du déséquilibre
Vous l’aurez compris, un menu 100% viande crue n’est pas viable pour un chien comme pour un chat !
Les carences en vitamine D, en calcium et en phosphore sont responsables de l'ostéomalacie chez les femelles nourrices et du rachitisme chez les jeunes. Ce type de régime comporte de plus une circonstance aggravante : à cause du grand excès protéique de la ration, il y a excrétion du surplus d'acides aminés soufrés sous la forme de sulfate de calcium.
L’alimentation "tout viande" non-équilibrée conduit à l'ostéofibrose. Non seulement le rapport Ca/P du régime est déficient, mais l'excrétion urinaire du calcium est exagérée, ce qui accélère le processus de la maladie.
Les principaux symptômes de l'ostéofibrose sont l'anxiété et l’anorexie, surtout chez les chiots, la diarrhée, la déformation douloureuse du squelette, ce qui entraine des boiteries, postures anormales et démarche plantigrade. Le pelage est terne et sec. Si la déminéralisation osseuse est prononcée, on assiste à des fractures spontanées. Chez les adultes, on remarque de la parodontose (abcès dentaires, ostéomyélite péridentaire, déchaussement des dents).
A cause du haut niveau des phosphates urinaires, on observe aussi des urolithiases à phosphates.
Des cas concrets aux issues dramatiques
Un bébé tigre de Sibérie, qui ne recevait que du bœuf sans supplément de calcium et de vitamines après le sevrage, a développé une hyperparathyroïdie secondaire nutritionnelle. Les signes cliniques de ce bébé tigre se sont améliorés après administration de vitamine D et de calcium. Ce cas démontre que l'hyperparathyroïdie nutritionnelle peut aussi survenir chez des animaux sauvages élevés au régime tout viande carencé en calcium et autres vitamines.
Un autre exemple avec un chiot Saint Bernard qui recevait de la viande avec quelques autres ingrédients en vrac. Il a développé une hyperparathyroïdie secondaire par carence en calcium avec une hypocalcémie assez sévère pour lui provoquer des convulsions.
Enfin, je vous présente le cas de ce chaton de 4 mois, arrivé en clinique suite à plusieurs fractures vertébrales et du bassin, d’origine vraisemblablement traumatique. A la radio, on observe que les os sont en grande partie déminéralisés, complètement friables, presque transparents.
Vu son état général, il était complètement impossible de fixer une plaque pour réparer les fractures car les os autour n’auraient jamais tenu le choc. Vu ses souffrances, il a été décidé de l’euthanasier. Ce chaton était nourri depuis environ 2 mois avec uniquement de la viande musculaire.
Conclusion
Retenez bien que, peu importe le type de régime donné, une alimentation déséquilibrée de plus de 3 semaines sur un animal en croissance est grave de conséquence et jamais anodin.
Sur un animal adulte, cela mettra plusieurs années mais les conséquences sur la santé seront bien réelles !
Je ne parle que de viande pour illustrer cet article, mais cela reviendrait strictement au même pour un menu 100% poisson composé uniquement de filet.
Voilà donc pourquoi je suis aussi embêtant lorsque je vois conseiller un aliment déséquilibré… même si c’est juste "un partage d’expérience", que "nous n’avons pas la science infuse". La science justement détermine aujourd'hui très précisément les besoins nutritionnels des chiens et des chats. Elle montre en même temps les conséquences possibles d’un déséquilibre alimentaire aussi grave.
Nos chiens et nos chats sont des carnivores, avec des besoins spécifiques. Ils ne peuvent pas manger "comme nous" et doivent bénéficier d'une alimentation adaptée.